Interview d'Éric WEISS (promo 1987)
Interview réalisée dans le cadre du dossier "Ingénieurs ENSTA Paris et transformation numérique"
En quoi consiste ton métier ?
EW. : Je suis product owner de la plateforme client (CRM) du groupe Thales. J'encadre une équipe d’une trentaine de personnes, structurée en équipes autonomes autour des grandes fonctionnalités du CRM : opportunités et offres, clients et
prévisions commerciales, contact et marketing. Chaque équipe comprend un product owner dédié, un scrum master, des développeurs, des testeurs et des change leaders. Nous nous interfaçons avec les fonctions du groupe : ventes et gestion des grands comptes, marketing, bids & project, offset, politique produit, ainsi que le comité exécutif, afin de définir avec eux comment configurer le CRM pour qu'ils facilitent leur travail au jour le jour.
prévisions commerciales, contact et marketing. Chaque équipe comprend un product owner dédié, un scrum master, des développeurs, des testeurs et des change leaders. Nous nous interfaçons avec les fonctions du groupe : ventes et gestion des grands comptes, marketing, bids & project, offset, politique produit, ainsi que le comité exécutif, afin de définir avec eux comment configurer le CRM pour qu'ils facilitent leur travail au jour le jour.
Quel a été ton cursus académique, et en particulier ta spécialisation à ENSTA Paris ?
EW. : À l'époque, il s’agissait de systèmes électroniques avec une spécialisation en informatique en troisième année, informatique qui avait été pour moi une grande découverte en première année (1984) ; cela paraît à peine croyable.
Quelles ont été les grandes étapes de ton parcours depuis ta sortie d’ENSTA Paris ?
EW. : J'ai commencé par travailler en traitement d'image et développement logiciel temps réel pour des systèmes de défense au sein de la division optronique et défense de la Société Anonyme de Télécommunication (SAT), filiale de Sagem désormais disparue au sein de Safran. Cette division résultait de l'acquisition d'une PME et avait gardé cet esprit de PME dans la mesure où nos activités n'avaient pas de liens avec le reste de l'activité télécommunications de la SAT. Je l'ai quittée en 2000 suite à l’absorption par Sagem pour rejoindre le groupe Thales en tant que project manager travaillant sur la construction de projets européens regroupant Royaume-Uni, Allemagne, Italie et Espagne. J'ai ensuite exercé pendant trois ans une fonction de conseil interne autour du changement, la performance des organisations et la gestion de projet, pour finalement rejoindre ce poste de maître d'ouvrage au niveau corporate pour la fonction Sales & Marketing.
De ton point de vue, en quoi consiste la transformation numérique aujourd'hui et comment l'envisages-tu à l'avenir ?
EW. : La transformation numérique est une révolution au même titre que l’arrivée de l'Internet en son temps dans la mesure où elle modifie fondamentalement la façon de travailler de chacun. Si un moteur de recherche sur l’Internet et un vendeur de livres par correspondance sont devenus les deux plus grosses compagnies de l'économie actuelle, ce n'est pas tant car elles proposaient quelque chose de nouveau mais par la façon dont elles se sont structurées pour délivrer leur service, structure ayant permis ensuite d'étendre leur activité de façon rapide. La transformation numérique est donc tout à la fois un état d'esprit (« think big start small »), une technologie (gestion des données) et un ensemble de pratiques (partage de l'information sous forme de données structurées plutôt qu’échange de courriers et de documents), le dernier point étant souvent le plus complexe à mettre en œuvre dans la mesure où il demande un changement radical des pratiques de chacun.
La première étape de la transformation consiste à identifier les objets métiers structurants d'une discipline (opportunités, offre, prise de commandes, contact, tiers…) et de les numériser, c'est-à-dire de les définir comme des tables constituées d'attributs. Ainsi, le partage de l'information ne nécessite plus de rédiger pour se transmettre l'information pertinente mais de remplir des formulaires où la donnée saisie est contrôlée au maximum pour en garantir la cohérence. Exprimé ainsi, cela peut paraître austère et inhumain mais c'est pourtant bien ce que l'on fait lorsque l'on passe une commande sur l’Internet après avoir choisi dans un catalogue, désignant ainsi l’objet choisi par une référence unique, étant nous-même un client référencé de façon unique et payant par des données bancaires telles que notre numéro de carte de crédit, tout cela s'appuyant sur la capacité d'échanges fournies par l’Internet, socle de base de cette nouvelle transformation.
Et c'est pourquoi la dimension ergonomique, la fameuse expérience utilisateur est un axe essentiel à l'adoption. Là encore, en reprenant l'exemple de l'achat en ligne, le fait de pouvoir enregistrer ses références pour ensuite « payer en un clic » en supprimant le remplissage fastidieux du formulaire favorise la mise en place de la pratique au détriment de celles utilisées précédemment. On va finalement préférer faire nos achats devant nos écrans plutôt que de se rendre dans un magasin lorsque le fait de se rendre dans le magasin n'apporte pas de bénéfice.
La deuxième étape va consister à inter-réagir avec les utilisateurs afin d'améliorer continuellement cette expérience et garantir au final une qualité de données élevée.
La troisième étape sera celle de l’exploitation des données enregistrées. En effet, une fois la transaction effectuée, on pourrait croire la donnée devenue inutile. En fait, son accumulation et son exploitation va devenir source d'amélioration basée sur une connaissance accrue et plus objective de ce qui se passe véritablement. Ce sera une meilleure connaissance du client dans le cadre du CRM mais aussi une meilleure connaissance de la façon dont on travaille avec lui permettant d'identifier plus finement ce qui marche bien et ce qui marche moins bien. Ce troisième volet est celui de la data science, qui n'en est encore qu'à ses balbutiements dans les entreprises.
L'enjeu de cette transformation est celui de la compétitivité d'une entreprise. L'efficacité est tellement améliorée que, ne pas l'adopter, c'est se condamner à disparaître.
Comme indiqué précédemment, c'est une transformation radicale. Il ne s'agit pas juste d'acquérir quelques nouveaux outils mais bien de changer sa façon de procéder avec l'adoption de nouveaux outils, et ce type de changement soulève toujours des résistances ; c'est humain. Le plus grand risque me paraît une adoption de façade où les pratiques passées continuent d'être celles employées, la nouvelle façon de faire restant marginale. C'est malheureusement souvent inéluctable, le changement définitif ne se réalisant qu'avec l'arrivée de nouvelles générations d’employés plus réceptifs à ces nouvelles façons de travailler.
C'est d'ailleurs une des techniques utilisées désormais pour accélérer ce type de changement en isolant une équipe favorable à l’adoption dans un premier temps pour lui permettre de progresser sans avoir à lutter contre les résistances et pouvoir s'en servir d'exemple. Cela a typiquement été le rôle de la digital factory au sein de Thales par exemple. Pour de jeunes ingénieurs en formation, c'est donc une formidable opportunité puisqu'en étant les vecteurs de cette adoption définitive, ils pourront prendre rapidement des rôles clés dans l'entreprise.
La première étape de la transformation consiste à identifier les objets métiers structurants d'une discipline (opportunités, offre, prise de commandes, contact, tiers…) et de les numériser, c'est-à-dire de les définir comme des tables constituées d'attributs. Ainsi, le partage de l'information ne nécessite plus de rédiger pour se transmettre l'information pertinente mais de remplir des formulaires où la donnée saisie est contrôlée au maximum pour en garantir la cohérence. Exprimé ainsi, cela peut paraître austère et inhumain mais c'est pourtant bien ce que l'on fait lorsque l'on passe une commande sur l’Internet après avoir choisi dans un catalogue, désignant ainsi l’objet choisi par une référence unique, étant nous-même un client référencé de façon unique et payant par des données bancaires telles que notre numéro de carte de crédit, tout cela s'appuyant sur la capacité d'échanges fournies par l’Internet, socle de base de cette nouvelle transformation.
Et c'est pourquoi la dimension ergonomique, la fameuse expérience utilisateur est un axe essentiel à l'adoption. Là encore, en reprenant l'exemple de l'achat en ligne, le fait de pouvoir enregistrer ses références pour ensuite « payer en un clic » en supprimant le remplissage fastidieux du formulaire favorise la mise en place de la pratique au détriment de celles utilisées précédemment. On va finalement préférer faire nos achats devant nos écrans plutôt que de se rendre dans un magasin lorsque le fait de se rendre dans le magasin n'apporte pas de bénéfice.
La deuxième étape va consister à inter-réagir avec les utilisateurs afin d'améliorer continuellement cette expérience et garantir au final une qualité de données élevée.
La troisième étape sera celle de l’exploitation des données enregistrées. En effet, une fois la transaction effectuée, on pourrait croire la donnée devenue inutile. En fait, son accumulation et son exploitation va devenir source d'amélioration basée sur une connaissance accrue et plus objective de ce qui se passe véritablement. Ce sera une meilleure connaissance du client dans le cadre du CRM mais aussi une meilleure connaissance de la façon dont on travaille avec lui permettant d'identifier plus finement ce qui marche bien et ce qui marche moins bien. Ce troisième volet est celui de la data science, qui n'en est encore qu'à ses balbutiements dans les entreprises.
L'enjeu de cette transformation est celui de la compétitivité d'une entreprise. L'efficacité est tellement améliorée que, ne pas l'adopter, c'est se condamner à disparaître.
Comme indiqué précédemment, c'est une transformation radicale. Il ne s'agit pas juste d'acquérir quelques nouveaux outils mais bien de changer sa façon de procéder avec l'adoption de nouveaux outils, et ce type de changement soulève toujours des résistances ; c'est humain. Le plus grand risque me paraît une adoption de façade où les pratiques passées continuent d'être celles employées, la nouvelle façon de faire restant marginale. C'est malheureusement souvent inéluctable, le changement définitif ne se réalisant qu'avec l'arrivée de nouvelles générations d’employés plus réceptifs à ces nouvelles façons de travailler.
C'est d'ailleurs une des techniques utilisées désormais pour accélérer ce type de changement en isolant une équipe favorable à l’adoption dans un premier temps pour lui permettre de progresser sans avoir à lutter contre les résistances et pouvoir s'en servir d'exemple. Cela a typiquement été le rôle de la digital factory au sein de Thales par exemple. Pour de jeunes ingénieurs en formation, c'est donc une formidable opportunité puisqu'en étant les vecteurs de cette adoption définitive, ils pourront prendre rapidement des rôles clés dans l'entreprise.
Peux-tu nous donner l’exemple d’une action, d’un projet significatif que tu as mené en matière de transformation numérique ?
EW. : Mon action quotidienne contribue directement à la transformation numérique du groupe Thales :
• comprendre les pratiques actuelles ;
• identifier avec les patrons de fonction le changement que l'on cherche à opérer ;
• définir avec les nouveaux utilisateurs les nouvelles pratiques à mettre en œuvre et comment structurer la plateforme pour qu'elle soit simple d’utilisation, compréhensible, efficace et au final adoptée.
• comprendre les pratiques actuelles ;
• identifier avec les patrons de fonction le changement que l'on cherche à opérer ;
• définir avec les nouveaux utilisateurs les nouvelles pratiques à mettre en œuvre et comment structurer la plateforme pour qu'elle soit simple d’utilisation, compréhensible, efficace et au final adoptée.
En quoi ta formation à ENSTA Paris t’a-t-elle aidé ou t’aide-t-elle dans cette action ? Dans ta fonction en général ?
EW. : Comme rappelé dans mon cursus, ENSTA Paris m'a permis de découvrir et d'approfondir mes connaissances en informatique, ce qui aura été la discipline principale de l'ensemble de ma carrière. Mais si je ne suis pas aujourd’hui un expert, c'est aussi dû au fait que mon cursus de généraliste me permet de dialoguer avec les autres disciplines de l'entreprise sans grande difficulté.
Selon toi, quel rôle a / doit avoir l’ingénieur ENSTA Paris dans la transformation numérique ?
EW. : Je vais devoir me répéter mais pour moi son rôle premier est d'être vecteur de ce changement par un comportement exemplaire, à savoir celui qui montre comment faire et pourquoi il faut l’adopter. Il doit pouvoir aider ceux en retard à le combler a minima et contribuer à son accélération. Enfin, il peut être artisan de la transformation en rejoignant des équipes en charge de sa mise en œuvre comme la mienne. Dans ce cas, on lui demandera d'apporter de l’expertise sur les nouveaux sujets autour de la donnée principalement.
Gardes-tu un souvenir anecdotique de l’école ?
EW. : Les tables d'échecs du foyer où j'ai disputé nombre de blitz à l’heure du déjeuner, et même parfois un peu au-delà tellement c’était prenant.
As-tu des conseils à donner aux élèves actuels ?
EW. : Le premier conseil est bien évidemment que la transformation numérique est un formidable tremplin pour débuter sa carrière pour ceux intéressés et, qu'en touchant au mécanisme de mise en place de ce type de transformation, on accélère son apprentissage sur le fonctionnement d'une entreprise et sa capacité à s'y mouvoir, dimension importante pour pouvoir s’épanouir tout au long des nombreuses années de travail à venir.
Le deuxième conseil est de prendre conscience que travailler n'est pas simplement une question de savoir-faire mais aussi une question de savoir-être. La pluridisciplinarité d'ENSTA Paris est aussi un moyen de progresser sur ce deuxième volet, le savoir-être prenant souvent le pas sur le savoir-faire au fur et à mesure de l'avancement de sa carrière.
Le deuxième conseil est de prendre conscience que travailler n'est pas simplement une question de savoir-faire mais aussi une question de savoir-être. La pluridisciplinarité d'ENSTA Paris est aussi un moyen de progresser sur ce deuxième volet, le savoir-être prenant souvent le pas sur le savoir-faire au fur et à mesure de l'avancement de sa carrière.
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