Interview de Charlotte MAES (promo 2000)

Interview réalisée dans le cadre du dossier "Ingénieurs ENSTA Paris et nucléaire"
 

En quoi consiste ton métier ?

CM. : Je suis directrice de la centrale nucléaire du Blayais, située en Haute Gironde.
Ce sont 4 réacteurs de 900 MW, construits au début des années 80, sur lesquels nous menons actuellement les travaux de rénovation attachés à la quatrième visite décennale des réacteurs, dans le cadre du programme de grand carénage du parc nucléaire français. C’est un programme majeur de maintenance, de modernisation et d’installation d’équipements supplémentaires destinés à rehausser le niveau de sûreté de nos centrales.
Le site que je dirige emploie un peu plus de 1 500 agents EDF, ainsi qu’un millier de salariés d’entreprises partenaires.

Quel a été ton cursus académique, et en particulier ta spécialisation à ENSTA Paris ?

CM. : J’ai intégré ENSTA Paris en 1998, en école d’application de l’école Polytechnique où je suis entrée en 1995. J’ai choisi ENSTA Paris du fait de mon intérêt pour les cours proposés, ainsi que pour les stages en entreprise intégrés au cursus. J’y ai suivi en dernière année les spécialisations génie industriel, chimie des procédés et énergie nucléaire, ainsi que des modules de finance et de droit du travail qui me servent encore aujourd’hui.

Quelles ont été les grandes étapes de ton parcours depuis ta sortie de ENSTA Paris ?

CM. : J’ai démarré mon parcours dans la centrale nucléaire de Cruas-Meysse, sur un poste qu’EDF propose classiquement aux ingénieurs diplômés de grandes écoles qui s’intéressent à la production, à savoir l’apprentissage puis la pratique (en 3x8) du pilotage du réacteur nucléaire depuis la salle de commande.
J’ai ensuite profité de la grande diversité des activités du groupe EDF pour alterner entre des postes de management dans différentes centrales nucléaires (manager d’équipe, cheffe de service, directrice déléguée), et des postes d’ouverture en région parisienne (ainsi qu’un passage en Angleterre), qui m’ont permis de découvrir les fonctions centrales (gestion des positions d’EDF sur les marchés électriques, centres d’ingénierie du nucléaire existant et du nouveau nucléaire, état-major de la division production nucléaire d’EDF), tout en offrant un compromis en matière de mobilité dans la gestion de deux carrières dans le secteur industriel (les unités de production étant rarement en centre-ville !).
 

Peux-tu nous donner l’exemple d’une action, d’un projet significatif que tu as mené dans le domaine du nucléaire ?

CM. : Mon plus gros challenge, à titre personnel, a probablement été la prise en charge, il y a une dizaine d’années, d’un service de 200 personnes à la centrale de Cattenom, dans le domaine de la conduite des opérations (c’est le service en charge de surveiller et piloter les installations, ainsi que de les préparer aux opérations de maintenance). Avec l’aide de mon équipe resserrée, j’ai conduit un changement d’organisation dimensionnant, touchant à la plupart des rôles, tout en maintenant la cohésion sociale et le niveau de performance. Pendant ces mêmes années, nous avons organisé et piloté la contribution du service à la préparation et à la réalisation des troisièmes visites décennales des réacteurs, un programme de rénovation d’ampleur inédite dans l’histoire du site. Ce fut une expérience intense et marquante, extrêmement formatrice dans ses dimensions techniques, organisationnelles (avec une recherche permanente d’agilité et d’innovation), et managériales évidemment.

De ton point de vue, quel rôle a / doit avoir l’ingénieur ENSTA dans ce domaine, notamment dans le cadre du plan France 2030 sur le nucléaire de demain et plus largement celui de l’objectif de neutralité carbone en 2050 ?

CM. : Même si la prise de conscience de la jeune génération vis-à-vis des enjeux de transition énergétique est une réalité, ENSTA Paris a un rôle à jouer pour transformer chez ses étudiants cette prise de conscience en engagement dans l’action. Ni la poursuite de la fuite en avant dans l’utilisation des énergies fossiles, ni la mise en retrait totale du système, prônée par quelques-uns, ne me semblent être des options. Nous avons besoin de toutes les intelligences et de tous les talents pour relever le défi immense qui attend les générations à venir.
Les métiers de la transition énergétique, et les métiers du nucléaire en particulier, ont besoin des meilleures compétences scientifiques et techniques du pays, pour exploiter des installations complexes ou mener des projets qui sont de véritables défis industriels. ENSTA Paris forme des ingénieurs qui ont toutes les qualités pour relever ces défis.
Plus largement, la relance de la filière nucléaire française a besoin de s’appuyer sur la reconstruction de la capacité industrielle du pays, qui s’est fortement érodée au cours des dernières décennies. La désindustrialisation de la France a joué un rôle non négligeable dans les difficultés de la filière nucléaire. Réciproquement, la relance du nucléaire est une opportunité pour tout le secteur industriel, à travers les commandes massives qu’elle génère. ENSTA Paris doit donc continuer à former les ingénieurs qui vont participer à la reconstruction de l’industrie française. Celle-ci doit se réinventer pour se différencier des concurrents internationaux, en étant une industrie d’excellence, d’innovation, fermement inscrite dans les ambitions de décarbonation de l’économie.

En quoi ENSTA Paris, par la formation qu’elle dispense aux futur(e)s ingénieur(e)s, aide-t-elle la France à atteindre ses objectifs en matière de renouveau du nucléaire ?

CM. : Le cursus d’ENSTA Paris permet d’acquérir des connaissances scientifiques, dans les domaines de la mécanique, de la mécanique des fluides, de la physique nucléaire (entre autres), qui leur permettent de prendre pied avec aisance et rapidité dans les postes d’entrée pour les jeunes ingénieurs, qui dans le secteur nucléaire sont souvent des postes à forte dimension technique. Les connaissances apportées par le parcours actuel « énergie électronucléaire » sont évidemment un atout particulièrement appréciable. Mais les étudiants qui ne l’ont pas suivi ne doivent surtout pas se censurer s’ils envisagent de rejoindre EDF : nous recrutons dans une multitude de spécialités et notre dispositif de formation professionnelle interne extrêmement développé permet d’apporter aux jeunes ingénieurs les compétences qui pourraient leur manquer.
Au-delà de ces savoirs académiques, les ingénieurs d’ENSTA Paris apprennent à résoudre des problèmes complexes, aux paramètres multiples. Ils apprennent à développer leur initiative et leur autonomie, mais aussi leur capacité à travailler en équipe et en réseau, à travers des expériences de gestion de projet. Ce sont des compétences essentielles pour les métiers d’ingénieurs qu’ils occuperont, en centre de production ou en centre d’ingénierie.

Gardes-tu un souvenir anecdotique de l'école ?

CM. : Je garde un souvenir vraiment chaleureux de l’accueil qui avait été réservé par les étudiants de deuxième année d’ENSTA Paris aux X qui les rejoignaient en école d’application, alors que les amitiés s’étaient souvent déjà nouées en première année et que de notre côté, nous arrivions peut-être un peu moins motivés par la vie de campus, après trois ans de vie étudiante. Cet effort d’ouverture et d’accueil, qui ne se retrouvait pas dans toutes les écoles, est une belle signature de l’esprit d’ENSTA Paris.

As-tu des conseils à donner aux élèves actuels ?

CM. : Pendant leur temps en école, je les encourage à saisir les opportunités qui leur sont offertes sur le campus et dans le cadre de leur cursus, pour cultiver leur curiosité et leur ouverture, que ce soit via les activités associatives, sportives, ou bien sûr via les projets et les stages en entreprise.
Ensuite, je les engage à se poser les bonnes questions au moment du choix de leur premier poste, qui conditionne souvent une grande partie de la suite du parcours. J’ai croisé ces dernières années un certain nombre d’anciens camarades de classes préparatoires ou d’écoles d’ingénieurs en plein doute, la quarantaine passée, sur le sens de leur action et de leur bilan. Je peux vous dire toute la satisfaction que peut apporter chaque matin la perspective de passer sa journée au service d’une industrie qui participe à la lutte contre le dérèglement climatique et à l’indépendance énergétique et industrielle de la France. Choisir un métier qui a du sens, c’est important !
Et bien sûr, je les encourage à profiter de ces années d’école, où on se forge des amitiés souvent pour la vie, et aussi un réseau de connaissances dont on mesure la force des années plus tard.
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