Interview de Hugues MARTIN (promo 2003)
Interview réalisée dans le cadre du dossier "Ingénieurs ENSTA Paris et nucléaire"

En quoi consiste ton métier ?
HM. : Je dirige actuellement les activités Défense de TechnicAtome, entreprise qui a mis au point, entretient et développe les compétences françaises dans le domaine de la propulsion nucléaire. Nous parlons chez TechnicAtome de « chaufferies nucléaires de propulsion ». Cette technologie est mise en œuvre sur les bâtiments de la Marine Nationale (sous-marins nucléaire d’attaque SNA, sous-marins nucléaires lanceurs d’engins SNLE et porte-avions Charles de Gaulle). Je dirige l’ensemble des activités des programmes de nouvelles chaufferies (Barracuda, SNLE de troisième génération, porte-avions de nouvelle génération), des activités de services dans le cadre de l’entretien des chaufferies en exploitation, des activités de fabrication du combustible nucléaire qui est rechargé périodiquement, et des activités d’exploitation de la base arrière de Cadarache où sont regroupés nos moyens industriels permettant la mise au point, le stockage, l’entretien et la réparation des équipements embarqués.
Quel a été ton cursus académique, et en particulier ta spécialisation à ENSTA Paris ?
HM. : Après avoir intégré ENSTA Paris à l’issue des classes préparatoires, j’ai choisi en deuxième année une voie de spécialisation dans le domaine des technologies de l’information. Puis j’ai fait le choix en troisième année de suivre un double cursus à l’université Paris Dauphine, menant à l’obtention, en parallèle de mon diplôme d’ingénieur, d’un DEA en « économie industrielle ». Cela m’a amené à m’intéresser au domaine de l’énergie et j’ai fait mon stage de fin d’études sur un projet de SMR (Small & Modular Reactor) destiné à la production couplée d’électricité et d’eau potable par dessalement d’eau de mer. C’est ainsi que je suis rentré en 2003 à TechnicAtome, que je n’ai pas quitté depuis.
Quelles ont été les grandes étapes de ton parcours depuis ta sortie de ENSTA Paris ?
HM. : Après 18 mois passés sur ce projet SMR, j’ai basculé en 2005 sur les activités de propulsion nucléaire, cœur d’activité de TechnicAtome, en rejoignant le programme Barracuda (sous-marins nucléaires d’attaque) qui entrait en phase de réalisation. Tout était alors à mettre en place : les contrats avec les clients étatiques, l’organisation du projet au sein de l’entreprise, les marchés de sous-traitance avec l’ensemble de nos partenaires industriels… J’ai passé près de 15 ans sur ce programme, dans de nombreuses fonctions différentes et en enchaînant les phases d’études de conception, d’approvisionnement, de montage et de mise en service. J’en ai pris la direction en 2014, jusqu’au départ à la mer en 2020 du SUFFREN, premier sous-marin de la série. Ces années ont été passionnantes ; les phases se sont enchaînées avec des enjeux et des challenges toujours renouvelés. Nous sommes parfois passés par des moments de grandes difficultés, dont nous sommes sortis en faisant preuve de solidarité entre les équipes. J’ai fait de très belles rencontres et je garderai en mémoire des moments de grande émotion, comme celui de la cérémonie de mise à l’eau du SUFFREN en 2019 qui constituait un grand moment de fierté pour tous ceux qui s’étaient engagés pendant de nombreuses années sur ce programme.
Je m’y suis forgé une solide expérience dans le management de grands programmes industriels, dans l’ensemble des dimensions technique, organisationnelle, financière et calendaire. À l’issue, j’ai d’abord pris en 2020 la direction du programme SNLE 3G (sous-marins nucléaires lanceurs d’engins) qui entrait à son tour en phase de réalisation, puis la direction de l’ensemble des activités défense fin 2023. La « direction réacteurs de défense » dont j’ai la charge réalise aujourd’hui plus de 500 M€ de chiffre d’affaires annuel, et emploie près de 1 800 personnes dans tous les métiers de l’ingénierie, de la fabrication, de l’exploitation et de la maintenance. Nos compétences et nos activités sont au service de la défense et plus précisément de la dissuasion.
Je m’y suis forgé une solide expérience dans le management de grands programmes industriels, dans l’ensemble des dimensions technique, organisationnelle, financière et calendaire. À l’issue, j’ai d’abord pris en 2020 la direction du programme SNLE 3G (sous-marins nucléaires lanceurs d’engins) qui entrait à son tour en phase de réalisation, puis la direction de l’ensemble des activités défense fin 2023. La « direction réacteurs de défense » dont j’ai la charge réalise aujourd’hui plus de 500 M€ de chiffre d’affaires annuel, et emploie près de 1 800 personnes dans tous les métiers de l’ingénierie, de la fabrication, de l’exploitation et de la maintenance. Nos compétences et nos activités sont au service de la défense et plus précisément de la dissuasion.
Peux-tu nous donner l’exemple d’une action, d’un projet significatif que tu as mené dans le domaine du nucléaire ?
HM. : J’ai envie de partager un moment de grande tension rencontré dans les dernières années de construction du SUFFREN et dont nous sommes sortis renforcés. Nous avons rencontré de fortes difficultés lors du chantier final d’intégration à Cherbourg, en grande partie du fait d’une perte de compétences dans certains métiers, consécutive à la baisse d’activité vers la fin des années 2000. Il a fallu comprendre la nature des difficultés sur un chantier qui employait à lui seul plus de 1 000 personnes, reconstruire certains savoir-faire, et pour cela sortir du cadre, proposer d’effacer les barrières entre les organisations et les contrats, entre les partenaires TechnicAtome, Naval Group et leurs sous-traitants, pour mettre à profit de la meilleure des manières les compétences de chacun. C’est une grande fierté d’avoir réussi à convaincre et à fédérer les équipes dans ce moment particulier.
De ton point de vue, quel rôle a / doit avoir l’ingénieur ENSTA dans ce domaine, notamment dans le cadre du plan France 2030 sur le nucléaire de demain et plus largement celui de l’objectif de neutralité carbone en 2050 ?
HM. : Les ingénieurs doivent s’engager dans la société, et prendre leur part dans la défense de la science et du progrès scientifique et technologique. Le débat public a été monopolisé pendant de trop nombreuses années par des intérêts court-termistes, voire parfois par des visions obscurantistes, ne laissant que peu de place à des politiques qui nécessitent de faire œuvre de pédagogie et d’engager le pays dans le long terme, avec constance. Le nucléaire ne pouvait que difficilement trouver sa place dans le mix énergétique futur dans un tel contexte. Il faut se réjouir que la tendance se soit inversée depuis plusieurs années maintenant mais il ne faut certainement pas considérer que cet acquis est définitif. Il incombe aux hommes et aux femmes de cette filière d’entretenir la flamme en démontrant que nous sommes à la hauteur des enjeux, et en poursuivant un travail de pédagogie honnête, lucide et éclairé sur les choix de société qui s’offrent à nous.
En quoi ENSTA Paris, par la formation qu’elle dispense aux futur(e)s ingénieur(e)s, aide-t-elle la France à atteindre ses objectifs en matière de renouveau du nucléaire ?
HM. : Il faut évidemment apporter des réponses techniques aux sujets qui accompagnent l’industrie nucléaire depuis son lancement, en particulier sur les questions des déchets, de la sûreté nucléaire ou encore de fermeture du cycle avec la surgénération. Mais il faut aussi – et peut-être même prioritairement – retrouver une pleine souveraineté et une pleine maîtrise industrielle de ces activités. L’industrie nucléaire a connu trop de retards, trop de difficultés organiques dans les chaînes de décisions, trop de pertes de souveraineté dans certains métiers et secteurs stratégiques. Il faut redresser la barre, redonner toute leur valeur aux métiers industriels, retrouver une performance opérationnelle à la hauteur des enjeux énergétiques du pays. Le défi à relever est immense mais il est passionnant.
Gardes-tu un souvenir anecdotique de l'école ?
HM. : Je garde évidemment plein de très bons souvenirs personnels mais surtout celui d’une école qui a su proposer un cadre de vie étudiante très agréable tout en conservant une exigence académique de haut niveau, garantissant une formation complète, ouverte et solide.
As-tu des conseils à donner aux élèves actuels ?
HM. : Mettez de l’engagement et de l’exigence dans tout ce que vous entreprenez. Faites toujours de votre mieux, et vous serez fiers de vos accomplissements.
Consulter le profil de Hugues MARTIN