Interview de Jadwiga NAJDER (promo 2019)

Interview réalisée dans le cadre du dossier "Ingénieurs ENSTA Paris et nucléaire"
 

En quoi consiste ton métier ?

JN. : Je suis une ingénieure nucléaire spécialisée dans la conception de centrales nucléaires et une ambassadrice de longue date pour l'énergie nucléaire que ce soit auprès des jeunes ou du grand public. La fusion de ces deux caractéristiques m'a mené à ma profession actuelle : responsable de la science et relations externes (Science and Outreach Manager) à la Société Européenne d’Énergie Nucléaire (European Nuclear Society, ENS), une ONG basée à Bruxelles, qui offre des possibilités de développement professionnel aux membres du secteur nucléaire dans 22 pays d'Europe et parfois à l’extérieur du continent. Mon travail consiste à diriger les activités scientifiques de la société (ENS), à coopérer avec nos nombreux partenaires pour créer des projets au profit de la communauté nucléaire européenne et à démontrer le potentiel de l'énergie nucléaire pour atténuer le changement climatique.

Quel a été ton cursus académique, et en particulier ta spécialisation à ENSTA Paris ?

JN. : J'ai suivi un master européen en énergie nucléaire (European Master’s in Nuclear Energy) – double diplôme en anglais réalisé à l'UPC à Barcelone et l'université Paris-Saclay, en parallèle avec les cours proposés par l'INSTN (Institut National des Sciences et Techniques du Nucléaire) et ENSTA Paris. Je me suis spécialisée dans la conception de centrales nucléaires, découvrant des sujets classiques de l'ingénierie nucléaire, comme la physique nucléaire et la thermo-hydraulique, mais aussi des éléments de génie civil, de science des matériaux et de gestion d'installations nucléaires. Le personnel enseignant était composé de scientifiques, ainsi que d'ingénieurs travaillant sur des projets pour l'industrie nucléaire.

Quelles ont été les grandes étapes de ton parcours depuis ta sortie de ENSTA Paris ?

JN. : Après avoir obtenu mon diplôme, j'ai accepté un rôle d'ingénieure d'études chez Oakridge, et j'ai effectué une mission chez Edvance. En tant qu'ingénieure système dans l'îlot nucléaire, j'ai contribué à la conception de la centrale nucléaire de Hinkley Point C en Angleterre. Cette expérience m'a permis de me rendre compte de la complexité et de l'ampleur d'un projet de centrale nucléaire qui, une fois achevée, fonctionnera pendant au moins 60 ans et fournira une grande quantité d'électricité à la population.
En dehors de mon engagement professionnel, je me suis impliquée dans plusieurs organisations et ONG, ce qui m'a aidé à développer mes connaissances générales sur l'énergie nucléaire et la politique associée, ainsi que mes compétences non techniques et mon sens du leadership. J'ai notamment été présidente de la communauté de Jeune Génération Européenne (ENS-YGN), animatrice d'un podcast Titans of Nuclear...
En ce moment, je travaille à la Société Nucléaire Européenne, qui réunit mes deux passions : l'énergie nucléaire et les projets sociaux. Je dirige divers groupes de travail de l’ENS, je participe à la préparation de documents de synthèse scientifique et d'articles, je m'occupe des partenariats de l'ENS, au service de nos membres - 12 000 professionnels du secteur nucléaire.

Peux-tu nous donner l’exemple d’une action, d’un projet significatif que tu as mené dans le domaine du nucléaire ?

JN. : Dans le cadre de ma mission chez Edvance, j'ai travaillé en équipe en tant qu'ingénieure système d'un grand circuit auxiliaire d’îlot nucléaire, ainsi qu'en tant qu'ingénieure autonome d'un autre système plus petit. J'ai dirigé plusieurs modifications de conception, coopéré avec des experts pour trouver les solutions les plus optimales pour le développement de l'installation, préparé les éléments du dossier de système élémentaire tout en me concentrant sur le fait d’obtenir une maturité du projet suffisante dans un coût raisonnable.
En parallèle, j'ai servi de relais pour la culture de sûreté et de coordinateur des écarts d'ingénierie, ce qui a aidé nos équipes d'ingénieurs à viser l'excellence.

De ton point de vue, quel rôle a / doit avoir l’ingénieur ENSTA dans ce domaine, notamment dans le cadre du plan France 2030 sur le nucléaire de demain et plus largement celui de l’objectif de neutralité carbone en 2050 ?

JN. : Le secteur nucléaire est confronté à des défis liés à une forte croissance et à l'élan industriel relancé récemment générant la création de grands projets. En plus de ces nouveaux projets, il est nécessaire d’assurer le remplacement des employés qui exécutent les activités du secteur. Les diplômés du programme, que j'ai suivi, apportent une vue diversifiée et synthétique de l'ensemble du domaine nucléaire. Avec de telles compétences, il est possible de travailler dans de multiples parties du secteur pour soutenir la production de grandes quantités d'électricité bas-carbone pour la France et l'Europe – si indispensable au bien-être de la société tout en limitant le réchauffement climatique et en restant respectueux de l'environnement. Certains, comme moi, décident également de se rapprocher des professions institutionnelles, en se concentrant sur la création de nouvelles opportunités pour les employés actuels et futurs du secteur, en soutenant les gouvernements, l'UE et d'autres institutions internationales dans la proposition de solutions pertinentes pour les professionnels du nucléaire et en contribuant activement à l'éducation du public. Ces actions contribuent à la formation d'une main-d'œuvre qualifiée et motivée, ainsi qu'au soutien public indispensable au développement continu du secteur.

En quoi ENSTA Paris, par la formation qu’elle dispense aux futur(e)s ingénieur(e)s, aide-t-elle la France à atteindre ses objectifs en matière de renouveau du nucléaire ?

JN. : Les employés hautement qualifiés sont, en plus du soutien public et politique, l'un des éléments clés de la réalisation de l'expansion du secteur nucléaire. Cette expansion signifie construire de nouvelles centrales mais aussi faire progresser le secteur en optimisant son fonctionnement, ce qui nécessite de la R&D, de l'innovation et le déploiement réussi de solutions améliorant la sécurité énergétique et la souveraineté, le cycle du combustible et la gestion des déchets, ainsi que la sûreté. Les défis d’ingénierie associés peuvent être une source d'inspiration pour les esprits talentueux et compétents, et c'est très bien ainsi, car c'est exactement ce dont nous avons besoin ! Chaque école, y compris ENSTA Paris, a un rôle à jouer en attirant et en offrant des opportunités pour la formation des meilleurs talents pour contribuer à la relance pour ce qui est des projets industriels et de recherche et développement.

Gardes-tu un souvenir anecdotique de l'école ?

JN. : L'une des activités les plus inspirantes que j'ai vécu pendant mes études à ENSTA Paris a été un voyage à Framatome en Bourgogne : voir de près l'échelle impressionnante des différents composants d'une installation nucléaire, des ateliers très avancés et, surtout, des experts passionnés partageant avec nous des détails de leur travail. Ceci a été un facteur important de motivation et d'inspiration dans ma formation à ENSTA Paris.

As-tu des conseils à donner aux élèves actuels ?

JN. : J'aimerais encourager tous les étudiants à être proactifs et à profiter du réseau d’élèves pendant cette période de formation. Posez toutes les questions qui vous intéressent, ne manquez pas les événements, les opportunités (comme ceux organisés par la SFEN JG) et développez des relations avec vos collègues, vos enseignants et des professionnels expérimentés qui vous seront utiles pendant votre vie professionnelle, y compris dans les domaines qui vous semblent moins importants / intéressants aujourd'hui. Construire un réseau, une base multidisciplinaire et trouver des mentors qui peuvent vous conseiller sont les catalyseurs d'une carrière épanouissante.
Consulter le profil de Jadwiga NAJDER