Interview de Karim MEJRI (promo 2006)

Interview réalisée dans le cadre du dossier "Ingénieurs ENSTA Paris et santé"
 

En quoi consiste ton métier ?

KM. : Je suis consultant en stratégie, management et organisation. J’aide les décideurs du secteur public, et plus particulièrement ceux du secteur de la santé, à bien concevoir et piloter les transformations stratégiques, managériales et numériques.
Dans le cadre de mon travail, j’ai accompagné plusieurs acteurs publics du secteur de la santé, comme les Agences régionales de santé (ARS), la Caisse nationale d’assurance maladie, ou encore l’Institut national du cancer.
Plus concrètement, mon métier de consultant couvre les types de missions suivants :
• Des missions de politiques publiques : il s’agit d’aider les organisations publiques de santé à définir leurs choix et leurs orientations pour les années à venir. Cela peut prendre la forme, par exemple, d’un plan régional de santé, à l’échelle d’une région, comme cela peut prendre la forme d’un contrat d’objectif et de gestion, entre une agence nationale et l’État. Il s’agit dans tous les cas d’un exercice contraint, où l’institution doit se conformer à un certain nombre de directives et d’orientations nationales. Mais il s’agit également d’un exercice de prospective qui se fait de façon ouverte, très souvent au travers de consultations larges de citoyens, de professionnels et d’acteurs du secteur.
• Des missions de transformation : dans ce type de mission, une agence ou une direction demande aux consultants de faire la revue de son organisation ou de ses processus internes. L’objectif peut varier mais il s’agit souvent d’optimiser les façons de travailler pour mieux servir les citoyens, gagner en efficacité ou encore mieux répartir la charge de travail entre les agents. Ce type de mission peut revêtir une dimension numérique, puisque la plupart des processus sont numérisés de nos jours ou sont en cours de numérisation. Comme il s’agit de changer la manière de travailler de plusieurs femmes et hommes au sein de l’organisation, le consultant est souvent amené à considérer la dimension humaine du changement. Cela donne lieu à des missions dites de « conduite du changement », où l’on s’attache à assurer la compréhension des agents et leur adhésion.
J’ai découvert au fil des ans une appétence pour le secteur de la santé et pour le secteur public. J’explique cette appétence par le sens qu’on trouve à ce type de missions : en effet, même en travaillant pour un cabinet privé, le fruit de mon travail profite à une organisation publique. Je participe de ce fait, à mon échelle, à servir l’intérêt général.
 

Quel a été ton cursus académique, et en particulier ta spécialisation à ENSTA Paris ?

KM. : J’ai intégré ENSTA Paris sur concours en 2003. J’ai suivi une majeure de mécanique en deuxième année, avec un stage de recherche à l’Université Technique d’Istanbul. J’ai choisi le parcours de spécialisation « Transports terrestres » en troisième année. J’ai effectué mon stage de fin d’études à la direction de la recherche et de l’innovation automobile de PSA Peugeot-Citroën, en 2006. Mon sujet de master concernait l’utilisation de matériaux innovants pour fixer le moteur au châssis et réduire les vibrations transmises à l’habitacle.
J’ai complété ma formation par un master « Théories et pratiques de l’innovation » à Paris-Dauphine. Pour mon mémoire de master, j’ai travaillé sur la transposition d’une méthode de conception innovante au domaine de la maîtrise des risques, en management.
 

Quelles ont été les grandes étapes de ton parcours depuis ta sortie d'ENSTA Paris ?

KM. : J’ai travaillé dans le conseil tout de suite après ma sortie d’école, tout d’abord pour des clients industriels que je connaissais déjà, tels que PSA Peugeot-Citroën, à l’époque. Ensuite, les missions se sont diversifiées, avec toujours un point commun : accompagner les transformations des organisations. J’ai mené des missions dans des groupes bancaires et énergétiques. Puis, au moment de la révolution tunisienne de 2011, mû par le désir de participer à l’élan de changement qui agitait mon pays d’origine, j’ai rejoint Tunis où j’ai travaillé pour le ministère de l’Emploi, puis pour un cabinet de conseil en stratégie.
Mon travail au ministère de l’Emploi tunisien a été ma première expérience pour le secteur public. C’est suite à cette expérience que je me suis spécialisé dans le conseil pour ce secteur. Quand j’ai rejoint un cabinet qui venait de se créer à Tunis, j’ai pu travailler sur la réforme des lois et des institutions en charge de l’investissement en Tunisie. J’ai également travaillé sur l’organisation d’un dialogue public-privé sur le secteur pharmaceutique, et sur une étude prospective financée par la Banque mondiale sur l’exportation des médicaments.
Je suis revenu en France en 2018, avec l’idée de continuer à faire des missions pour le secteur public. Au sein d’Eurogroup Consulting, j’ai pu accompagner des ARS, des agences nationales, en plus de diverses collectivités territoriales (conseils régionaux, conseils départementaux, communes…). En mai 2023, j’ai rejoint le cabinet Julhiet Sterwen en tant que Senior Manager, pour contribuer à développer les activités, toujours dans les mêmes secteurs de prédilection.
 

De ton point de vue, quel rôle a ou doit avoir l'ingénieur ENSTA dans le domaine de la santé ?

KM. : Un ingénieur ENSTA Paris peut aborder la santé de plusieurs angles différents, qui ne sont pas nécessairement exclusifs.
Tout d’abord, la santé est un champ d’innovation immense. On parle souvent des innovations thérapeutiques qui nécessitent des connaissances poussées en biologie et autres disciplines connexes, mais il ne faut pas oublier que le champ d’innovation en santé inclut également les dispositifs médicaux, qui peuvent être des composants technologiques (hardware et software) de haute technicité, faisant appel à de la robotique, de la programmation, du traitement de signal, de l’intelligence artificielle...
Ensuite, la santé est un objet de politique publique qui nécessite une réflexion collective, pas nécessairement experte, afin d’aider les organisations publiques à définir leur vision et leur plan d’actions sur le long terme.
Enfin, la santé est un champ de transformations organisationnelles induites par des réglementations contraignantes et par des attentes fortes de la part des citoyens. En tant qu’acteur du système de santé, l’ingénieur peut aider à anticiper, concevoir et implémenter ces transformations.
En résumé, la santé est un système complexe, ultra-régulé, où les aspects scientifiques, techniques, réglementaires, organisationnels et humains s’entremêlent. L’appréhension de la complexité de ce système est à la portée d’un ingénieur ENSTA Paris : nous sommes formés pour « gérer » les systèmes complexes et les faire évoluer.
 

Peux-tu nous donner l’exemple d’une action, d’un projet significatif que tu as mené en matière de santé ?

KM. : J’ai accompagné une Agence régionale de santé pour organiser une concertation auprès des professionnels et des citoyens, permettant d’identifier les attentes et les préoccupations en matière de santé, ainsi que les orientations stratégiques futures.
Nous avons commencé par définir la méthodologie et le calendrier d’intervention, en fonction des attentes de l’agence. Les modalités de consultation choisies étaient multiples : consultation des citoyens et des professionnels sur une plateforme numérique dédiée, entretiens avec des experts, ateliers dans les départements de la région avec des citoyens volontaires...
Notre rôle a été d’assurer l’organisation de toutes ces modalités : concevoir le questionnaire en ligne, préparer et animer les entretiens et les ateliers… En plus de tout cela, c’est nous qui avions assuré le travail de synthèse et de présentation des résultats. Il s’agit d’une étape cruciale, car la matière « brute » collectée peut être abondante et inexploitable en l’état. Notre rôle est de rendre cette matière digeste, de la présenter de façon fluide et structurée. Cela fait appel à nos capacités à traiter des quantités importantes d’informations, quantitatives et qualitatives. Ma formation d’ingénieur est d’une grande aide pour mener cette mission ! En dernier lieu, il faut trouver l’histoire qui permet de « raconter » tout cela, et de rendre compte de la richesse de la matière collectée, tout en la rendant plus compréhensible.
Au-delà des aspects organisationnels et techniques qu’il a fallu maîtriser, j’ai personnellement beaucoup appris de ce projet. De plus, ce projet concrétise un engagement citoyen pour la santé des autres. Je retrouve ainsi un sens profond à ce que je fais au quotidien.
 

En quoi ta formation à ENSTA Paris t'a-t-elle aidé ou t’aide-t-elle dans cette action ? Dans ta fonction en général ?

KM. : Grâce à sa formation scientifique, un ingénieur ENSTA Paris a la capacité de rendre abstraites les données et les situations et de les traiter comme les termes d’une équation. En raisonnant de la sorte, on peut aborder n’importe quel problème de quelque nature que ce soit. De plus, nous avons la capacité de faire des matrices, pour croiser des notions de manière bi-dimensionnelle sur un tableau. Tout le monde n’aborde pas ce type d’exercices avec la même facilité, et l’on trouve vite des complémentarités avec des personnes issues d’autres types de formations.
Les ingénieurs sont généralement réputés pour avoir de la rigueur, d’aborder les problèmes de façon logique, d’avoir la capacité à appréhender et à concevoir des systèmes complexes.
Mais attention, ces capacités ne sont pas acquises pour la vie. Ce que l’on apprend à l’école nous permet de réussir une première mission, ou un premier poste. Plus les années passent, plus la performance dépend de notre engagement au quotidien et de notre appétence et notre capacité à apprendre. Le diplôme est une vitesse V0 qu’il faudra maintenir voire accélérer par la suite, et il faut de l’énergie car dans l’univers professionnel où nous évoluons, il y a du frottement qui risque de nous ralentir !
 

Gardes-tu un souvenir anecdotique de l’école ?

KM. : Avec un groupe d’amis, une fois, nous avons été au boom d’ENSTA Paris, boulevard Victor, dans le 15ème arrondissement de Paris. Nous devions rentrer à la Cité Universitaire, dans le 14ème arrondissement. Nous avions raté le dernier bus et le dernier métro, et devions faire les trois kilomètres à pied. Sauf que c’était l’hiver, il avait neigé. Nous avons donc marché dans la neige pendant quarante minutes ! Pour une raison que j’ignore, l’éclairage public était éteint cette nuit-là. Cela ajoutait à l’étrangeté de cette longue marche. Nous sommes arrivés totalement exténués à la Cité Universitaire, les doigts gelés et grelottant de froid !
 

As-tu des conseils à donner aux élèves actuels ?

KM. : Anticiper l’avenir et l’inventer, car l’avenir vous appartient !

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