Interview de Nicolas COURADE (promo 2007)

Interview réalisée dans le cadre du dossier "Ingénieurs ENSTA Paris et nucléaire"
 

En quoi consiste ton métier ?

NC. : Aujourd’hui, je fais partie, au sein de la société Edvance (filiale d’ingénierie nucléaire du groupe EDF), de la direction de l’équipe en charge de la conception de l’îlot nucléaire des centrales nucléaires de type « EPR2 », autrement dit les architectes des bâtiments et systèmes autour de la cuve du réacteur de ces centrales.
Au sein de cette équipe, mon rôle est double :
  • Tout d’abord, pousser (et aider) l’ensemble des managers de cette équipe à améliorer leur productivité via la mise en place de leviers d’amélioration concrets à leur niveau ;
  • Ensuite, m’assurer que les méthodes globales de pilotage de projets et de contrats que nous utilisons nous poussent vers cette recherche de productivité, au service du programme EPR2.
 

Quel a été ton cursus académique, et en particulier ta spécialisation à ENSTA Paris ?

NC. : À ENSTA Paris, en deuxième année, j’ai choisi le cursus « mécanique des fluides », et par ailleurs des enseignements d’option très théoriques (relativité générale, théorie des opérateurs auto-adjoints...) ; non dans l’optique de m’orienter vers la recherche – je savais vouloir m’orienter vers l’industrie – mais plutôt car ce serait ma dernière occasion de me frotter vraiment à de la science dure.
Après une année de césure passée chez Alstom Transport, j’avais en troisième année choisi l’option « trains et voitures » -- officiellement nommée « transports terrestres et ferroviaires », si je me souviens bien.
Ce que mon parcours prouve, c’est qu’il n’est pas nécessaire de faire l’option « nucléaire » pour entrer dans ce secteur. Ce dont nous manquons le plus pour mener nos grands projets, ce n’est pas, à mon sens, de neutroniciens experts mais d’ingénieurs compétents dans un domaine technique donné, prêts à l’appliquer dans le contexte nucléaire avec son lot de contraintes spécifiques, ayant une compréhension minimum dans l’ensemble des domaines composant une centrale nucléaire. Ce sont des compétences que tout ingénieur ENSTA Paris doit avoir en sortie d’école.

Quelles ont été les grandes étapes de ton parcours depuis ta sortie de ENSTA Paris ?

NC. : Suite à ma sortie d’ENSTA Paris en 2007 – en réalité, un peu avant car à cette époque, j’avais été autorisé à valider mon projet de fin d’études à travers les six premiers mois d’un VIA (volontariat international), j’ai tout d’abord rejoint le service nucléaire de l’ambassade de France en Chine où, pendant deux ans, j’ai eu comme mission de faciliter la coopération bilatérale dans ce domaine, à travers des actions de veille, de lobbying (à la fois en France et en Chine), et de mise en relation des acteurs français et chinois de cette industrie. Même si très peu technique dans mon quotidien, cette mission m’a permis de développer une vision globale du secteur nucléaire dans son ensemble et de discuter avec de nombreux experts des différents sous-domaines le composant (recherche, ingénierie, production électronucléaire, cycle du combustible…).
À la fin de mon VIA, j’ai décidé de rentrer en France où j’ai rejoint le groupe EDF. Mes premières sept années dans le groupe l’ont été au sein de la centrale de Tricastin, où j’ai appris les métiers du pilotage de projet, de responsable maintenance et de manager de première ligne, au sein d’une unité tournée vers l’exploitation d’une machine complexe, à savoir quatre tranches nucléaires. Cette expérience a été très riche, me permettant de comprendre en profondeur et sur le terrain les aspects à la fois humains et techniques de l’un des cœurs de métier du groupe EDF.
J’ai ensuite eu l’opportunité de rejoindre la division « combustible nucléaire », au sein de laquelle j’ai été en charge des achats de services d’enrichissement d’uranium, ainsi que de diverses matières chimiques spéciales nécessaires au fonctionnement des centrales.
Puis, en 2018, j’ai eu l’opportunité de rejoindre le projet HPC en Angleterre, d’abord comme responsable adjoint du lot « montages électromécaniques », puis comme directeur adjoint du bureau d’Edvance déporté au Royaume-Uni.
Il y a quelques mois, j’ai finalement rejoint mon poste actuel, après un passage rapide comme chef de projet, toujours pour Edvance, de la conception des îlots nucléaires du SMR Nuward.
Je pense que mon parcours démontre la très grande diversité de métiers que l’on peut exercer au sein d’une entreprise comme EDF tout en restant dans le domaine nucléaire. Cette diversité de métiers est aussi présente au sein d’une grande partie des autres entreprises du secteur, qu’ils soient opérateurs / donneurs d’ordres, ou fournisseurs.

Peux-tu nous donner l’exemple d’une action, d’un projet significatif que tu as mené dans le domaine du nucléaire ?

NC. : Je prendrai l’exemple du déploiement de la co-ingénierie en entreprise étendue par plusieurs entreprises différentes et de manière synchronisée dans un outil de CAO unique (ici une maquette 3D de centrale nucléaire).
Cela peut paraître simple, mais en réalité nécessite une coordination fine et un alignement profond de personnes très différentes (et ayant des intérêts de court terme parfois divergents) : les utilisateurs des différentes entreprises qui doivent aligner leurs pratiques et méthodes, bien sûr, mais également pour chaque entreprise, les exploitants du système d’information, les juristes en charge de la propriété intellectuelle, les commerciaux, les responsables de la cybersécurité… un nombre très important de parties prenantes à aligner sur un but commun, stratégique pour EDF mais plus largement pour la filière nucléaire française dans son ensemble, puisque visant à fiabiliser et raccourcir les cycles d’ingénierie des nouveaux designs de réacteurs, que ce soit EPR2 ou les SMR.
J’ai par ailleurs eu le plaisir de voir la mise en service du prototype avec notre premier partenaire, à l’été 2023, et nous sommes maintenant entrés dans une phase de déploiement de cette nouvelle méthode de travail avec l’ensemble des partenaires de la filière pour lesquels cela est pertinent, sur tous nos nouveaux projets.

De ton point de vue, quel rôle a / doit avoir l’ingénieur ENSTA dans ce domaine, notamment dans le cadre du plan France 2030 sur le nucléaire de demain et plus largement celui de l’objectif de neutralité carbone en 2050 ?

NC. : L’ingénieur ENSTA Paris, de par sa formation généraliste mais poussée, doit avoir – et est naturellement bien placé pour ce faire – un rôle d’intégrateur dans un domaine technique exigeant, très contraint et interconnecté comme le sont toutes les installations nucléaires. Et au-delà de l’intégration technique de ces installations, les bases données par l’école aux ingénieurs ENSTA Paris sur des sujets aussi variés que la gestion ou les questions juridiques lui permettent également de remettre son activité technique dans son environnement légal et global et donc, après quelques années d’expérience, d’évoluer vers des rôles de pilotage de projets complexes, que sont par nature toutes les évolutions à venir de notre infrastructure énergétique nationale, nécessaires pour viser la neutralité carbone en 2050.

En quoi ENSTA Paris, par la formation qu’elle dispense aux futur(e)s ingénieur(e)s, aide-t-elle la France à atteindre ses objectifs en matière de renouveau du nucléaire ?

NC. : ENSTA Paris, de par la formation qu’elle dispense à ses élèves, touchant à de nombreux domaines, aussi bien techniques que non techniques, les met dans une position idéale pour comprendre et faire la synthèse des enjeux de parties prenantes très différentes, et ainsi amener ces différentes parties prenantes à trouver une voie commune de résolution des challenges complexes, et in fine de succès de l’ensemble des acteurs de la filière ; que ce soit à l’échelle d’un projet unique s’insérant dans un territoire, avec des contraintes réglementaires, techniques et financières importantes, ou à plus grande échelle, sur le développement d’un écosystème très interconnecté et interdépendant.
Cette compréhension globale et cette capacité à dialoguer et à comprendre l’ensemble des parties prenantes, qui est au cœur de la formation d’ENSTA Paris, sont pour moi une compétence essentielle.
 

Gardes-tu un souvenir anecdotique de l'école ?

NC. : Plusieurs, principalement liés à ma participation dans les différentes associations de l’école. Celle qui me tient le plus à cœur est l’organisation et la réalisation du premier tournoi « 7 à Paris », que nous avons redémarré après plusieurs années d’interruption.
Sa réussite, après une année complète de préparation, de recherche de financements, de recherche d’un terrain et de solutions d’hébergement, ainsi que de communication auprès de nombreuses écoles européennes, toute la logistique le jour J, mais aussi l’ensemble du volet sportif, ont été une très grande fierté.
Je me souviens de l’état de fatigue de toute l’équipe organisatrice dans les bouchons du dimanche soir, lorsque nous ramenions du matériel que nous avions emprunté à l’armée ; fatigue intense, mais sentiment d’achèvement nous rendant tous euphoriques.

As-tu des conseils à donner aux élèves actuels ?

NC. : Surtout, n’hésitez pas à rejoindre une entreprise du secteur, même si vous n’avez pas le label « spécialisation nucléaire », si vous avez l’appétence pour les grands projets complexes et structurants pour l’économie d’un pays.
La filière saura, dans les années à venir, faire usage de toutes les ressources compétentes et motivées – et je n’ai pas de doute qu’un ingénieur ENSTA Paris sortant d’école coche ces deux cases – qu’elle pourra attirer.
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