Interview de Sophie BEBBER (promo 2006)
Interview réalisée dans le cadre du dossier "Ingénieurs ENSTA Paris et transformation numérique"
En quoi consiste ton métier ?
SB. : Depuis le 1er mai 2021, je suis business chief digital officer de la division « Chassis Systems Control » chez Robert Bosch ; je suis localisée directement à la centrale en Allemagne. C’est la division qui regroupe les produits liés au système de freinage ABS, ESP... Elle regroupe 24 usines dans le monde et 18 163 employés.
J’ai la charge de définir et mettre en place la stratégie de transition numérique pour la division.
Elle contient 2 axes principaux :
• D’un côté, ce que j’appelle la transformation numérique interne : il s’agit de définir la stratégie de transformation de l’organisation (rôles / compétences / process / technologie) pour qu’elle optimise et améliore ses performances. L’objectif est non seulement d’utiliser les technologies numériques pour demeurer concurrentiel en réduisant délais et coûts, mais aussi de rendre le processus plus efficace et transparent. Cela permet finalement de pouvoir poursuivre et de se concentrer sur l’innovation.
• De l’autre côté, ce que je nomme par conséquent la transition numérique externe : il s’agit de travailler avec les services R&D pour développer de nouvelles sources de revenus par l’innovation, pour créer des produits software et des services de données (data-services), en plus du hardware. Pour le comparatif, il s’agit de développer un smartphone sur roues !
Un des facteurs de réussite (enabler) le plus important est l’intégration globale et l’échange des données de bout en bout du cycle de vie du produit (end-to-end data management), ce qui requiert une forte collaboration entre les services. Contrairement aux entreprises digitales pionnières comme Google, Amazon..., ce n’est pas un mince sujet à aborder dans une industrie automobile beaucoup plus conventionnelle.
En effet, c’est un métier assez récent, du moins dans l’industrie automobile. Pour ma division, je suis la première sur le poste. C’est un métier qui me permet de travailler avec toutes les différentes fonctions de l’organisation : marketing, R&D, RH, finances, services client, ventes... mais qui m’offre aussi une grande liberté de conception.
J’ai la charge de définir et mettre en place la stratégie de transition numérique pour la division.
Elle contient 2 axes principaux :
• D’un côté, ce que j’appelle la transformation numérique interne : il s’agit de définir la stratégie de transformation de l’organisation (rôles / compétences / process / technologie) pour qu’elle optimise et améliore ses performances. L’objectif est non seulement d’utiliser les technologies numériques pour demeurer concurrentiel en réduisant délais et coûts, mais aussi de rendre le processus plus efficace et transparent. Cela permet finalement de pouvoir poursuivre et de se concentrer sur l’innovation.
• De l’autre côté, ce que je nomme par conséquent la transition numérique externe : il s’agit de travailler avec les services R&D pour développer de nouvelles sources de revenus par l’innovation, pour créer des produits software et des services de données (data-services), en plus du hardware. Pour le comparatif, il s’agit de développer un smartphone sur roues !
Un des facteurs de réussite (enabler) le plus important est l’intégration globale et l’échange des données de bout en bout du cycle de vie du produit (end-to-end data management), ce qui requiert une forte collaboration entre les services. Contrairement aux entreprises digitales pionnières comme Google, Amazon..., ce n’est pas un mince sujet à aborder dans une industrie automobile beaucoup plus conventionnelle.
En effet, c’est un métier assez récent, du moins dans l’industrie automobile. Pour ma division, je suis la première sur le poste. C’est un métier qui me permet de travailler avec toutes les différentes fonctions de l’organisation : marketing, R&D, RH, finances, services client, ventes... mais qui m’offre aussi une grande liberté de conception.
Quel a été ton cursus académique, et en particulier ta spécialisation à ENSTA Paris ?
SB. : Mon cursus académique est des plus classiques, mais reflète en même temps déjà mon intérêt pour beaucoup de sujets. Après une classe préparatoire PC* dans le Nord à Douai, et avant d’intégrer ENSTA Paris, j’ai fait le magistère de Physique fondamentale à l’Université Paris-Saclay. Cela m’a aussi donné la possibilité de faire une année Erasmus à l’Imperial College de Londres.
J’ai intégré ENSTA Paris en 2004 (promotion 2006). Ma spécialisation en 3e année était en Systèmes de production ; je crois qu’elle n’est plus proposée aujourd’hui. Les sujets comme l’IA et la cybersécurité n’étaient à cette époque pas encore proposés. En parallèle de la dernière année, j’ai aussi suivi un Master en « Conseil en organisation, stratégie et systèmes d'information » à l’université Paris-Sorbonne.
J’ai intégré ENSTA Paris en 2004 (promotion 2006). Ma spécialisation en 3e année était en Systèmes de production ; je crois qu’elle n’est plus proposée aujourd’hui. Les sujets comme l’IA et la cybersécurité n’étaient à cette époque pas encore proposés. En parallèle de la dernière année, j’ai aussi suivi un Master en « Conseil en organisation, stratégie et systèmes d'information » à l’université Paris-Sorbonne.
Quelles ont été les grandes étapes de ton parcours depuis ta sortie d’ENSTA Paris ?
SB. : À ma sortie d’ENSTA Paris, j’ai tout de suite été embauchée par Bosch en 2006 / 2007 à la suite de mon stage de fin d’études qui avait eu lieu dans une de ses plus grandes usines en Allemagne. Et depuis j’y suis restée ! La taille de l’entreprise comme la variété des secteurs et divisions permet d’évoluer. J’en suis à mon 7e poste…
Après deux ans en tant que cheffe de projets logistiques à la centrale française localisée à Paris Nord, j’ai eu l’opportunité de rejoindre la centrale monde en Allemagne et d’élargir mes responsabilités. Cela m’a permis de comprendre le fonctionnement de l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement (supply chain). Dans le cadre de la cession par Bosch de la première division pour laquelle j’ai travaillé, je faisais partie de l’équipe chargée de coordonner la cession avec le cabinet KPMG ; cela impliquait entre autres de préparer les chaînes d’approvisionnement pour éviter tout arrêt de livraison aux constructeurs automobiles.
Suite à ça, j’ai changé complètement de division et de secteur. J’ai pris la responsabilité de la gestion stratégique de la production monde pour 24 sites. Et là, la transition numérique est arrivée, avec dans un premier temps le concept de l’industrie 4.0 (digitalisation des process de production) pour lequel j’ai été nommée cheffe de projet. J’ai ensuite rejoint le bureau exécutif de la direction générale de la division pour laquelle je travaille encore aujourd’hui, avant d’arriver sur mon poste actuel.
Après deux ans en tant que cheffe de projets logistiques à la centrale française localisée à Paris Nord, j’ai eu l’opportunité de rejoindre la centrale monde en Allemagne et d’élargir mes responsabilités. Cela m’a permis de comprendre le fonctionnement de l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement (supply chain). Dans le cadre de la cession par Bosch de la première division pour laquelle j’ai travaillé, je faisais partie de l’équipe chargée de coordonner la cession avec le cabinet KPMG ; cela impliquait entre autres de préparer les chaînes d’approvisionnement pour éviter tout arrêt de livraison aux constructeurs automobiles.
Suite à ça, j’ai changé complètement de division et de secteur. J’ai pris la responsabilité de la gestion stratégique de la production monde pour 24 sites. Et là, la transition numérique est arrivée, avec dans un premier temps le concept de l’industrie 4.0 (digitalisation des process de production) pour lequel j’ai été nommée cheffe de projet. J’ai ensuite rejoint le bureau exécutif de la direction générale de la division pour laquelle je travaille encore aujourd’hui, avant d’arriver sur mon poste actuel.
De ton point de vue, en quoi consiste la transformation numérique aujourd'hui et comment l'envisages-tu à l'avenir ?
SB. : On a souvent, et à tort, limité la transition digitale ou numérique par l’introduction de nouvelles technologies comme IA, cloud, digital twin, data lake... En réalité, c’est un processus beaucoup plus large et complexe. Une transformation numérique réussie implique de transformer l’organisation afin de tirer avantage des possibilités offertes par ces nouvelles technologies. Il s’agit de placer l’utilisateur (interne à l’entreprise comme externe) au cœur de la transition. C’est pour cette raison que je travaille actuellement beaucoup dans mon métier avec les méthodes UX (User eXperience).
Les principales initiatives de transformation numérique sont axées sur la refonte de l’expérience client, des processus opérationnels et des business-models. C’est un sujet très stratégique qui impose aux sociétés de repenser et redéfinir la façon dont les différentes fonctions collaborent, interagissent et échangent leurs données (data), que ce soit en interne ou vers l’externe.
Comme je l’écrivais avant sur mon expérience, c’est justement l’un des principaux défis que doit relever l’industrie automobile.
Cela implique aussi un enjeu au niveau de la transition culturelle, pour lequel je rencontre actuellement au sein de l’entreprise une certaine peur du changement. Je pense aussi que c’est un sujet générationnel. Naturellement, les managers en place aujourd’hui ont pour la plupart plus de 40 ans et, pour eux, c’est un chamboulement. Pour les plus jeunes qui ont grandi avec le numérique, c’est juste une évolution du cadre de travail qui s’inscrit dans la continuité.
Les progrès qu’apporte la technologie numérique mais aussi l’évolution du marché (avec la voiture électrique) redessinent complètement le visage de l’industrie automobile. L’industrie automobile autrefois axée sur le matériel / hardware se transforme peu-à-peu vers un secteur axé sur les solutions logicielles (software / data service). Cela permet de lui donner de nouvelles perspectives dans un domaine très concurrentiel et avec l’arrivée prochaine de nouveaux concurrents venus de Chine.
Les principales initiatives de transformation numérique sont axées sur la refonte de l’expérience client, des processus opérationnels et des business-models. C’est un sujet très stratégique qui impose aux sociétés de repenser et redéfinir la façon dont les différentes fonctions collaborent, interagissent et échangent leurs données (data), que ce soit en interne ou vers l’externe.
Comme je l’écrivais avant sur mon expérience, c’est justement l’un des principaux défis que doit relever l’industrie automobile.
Cela implique aussi un enjeu au niveau de la transition culturelle, pour lequel je rencontre actuellement au sein de l’entreprise une certaine peur du changement. Je pense aussi que c’est un sujet générationnel. Naturellement, les managers en place aujourd’hui ont pour la plupart plus de 40 ans et, pour eux, c’est un chamboulement. Pour les plus jeunes qui ont grandi avec le numérique, c’est juste une évolution du cadre de travail qui s’inscrit dans la continuité.
Les progrès qu’apporte la technologie numérique mais aussi l’évolution du marché (avec la voiture électrique) redessinent complètement le visage de l’industrie automobile. L’industrie automobile autrefois axée sur le matériel / hardware se transforme peu-à-peu vers un secteur axé sur les solutions logicielles (software / data service). Cela permet de lui donner de nouvelles perspectives dans un domaine très concurrentiel et avec l’arrivée prochaine de nouveaux concurrents venus de Chine.
Peux-tu nous donner l’exemple d’une action, d’un projet significatif que tu as mené en matière de transformation numérique ?
SB. : Le projet qui me vient à l’esprit est le premier que j’ai coordonné ; il était aussi le premier de cette ampleur pour ma division. C’était en 2016. Nous étions encore dans les balbutiements de la transition numérique pour l’industrie automobile.
Avec mon équipe projet, nous avons numérisé les routines journalières de production avec la mise en place d’une plateforme de communication interactive dans chacun des 24 sites permettant la visualisation, le traitement et l’intégration de toutes les données pertinentes d’un site de production en temps réel. Cela a permis de supprimer l’effort quotidien à la préparation manuelle de toutes ces données et par conséquent, a nettement amélioré la communication et l’échange d’information entre les opérateurs, les équipes, les machines et les process dans l’atelier de production.
Maintenant, quand vous vous rendez dans une de nos usines, un grand-écran tactile trône au milieu de chaque atelier et est utilisé pour chaque réunion en début de journée de travail et au changement d’équipes.
Avec mon équipe projet, nous avons numérisé les routines journalières de production avec la mise en place d’une plateforme de communication interactive dans chacun des 24 sites permettant la visualisation, le traitement et l’intégration de toutes les données pertinentes d’un site de production en temps réel. Cela a permis de supprimer l’effort quotidien à la préparation manuelle de toutes ces données et par conséquent, a nettement amélioré la communication et l’échange d’information entre les opérateurs, les équipes, les machines et les process dans l’atelier de production.
Maintenant, quand vous vous rendez dans une de nos usines, un grand-écran tactile trône au milieu de chaque atelier et est utilisé pour chaque réunion en début de journée de travail et au changement d’équipes.
En quoi ta formation à ENSTA Paris t’a-t-elle aidé ou t’aide-t-elle dans cette action ? Dans ta fonction en général ?
SB. : Le métier de digital officer exige des connaissances pluridisciplinaires et importantes, aussi bien managériales, stratégiques, que techniques. Avec sa formation d’excellence pluridisciplinaire qui a su évoluer, ENSTA Paris permet d’acquérir de larges compétences (fondamentales, ingénierie mais aussi soft skills) qui nous aident à comprendre rapidement tout type de sujets et problèmes, mais aussi de les résoudre et de s’adapter à différentes situations complexes. Cela a été ma force dans mon évolution de carrière et a permis sa diversité.
Selon toi, quel rôle a / doit avoir l’ingénieur ENSTA Paris dans la transformation numérique ?
SB. : L’ingénieur ENSTA Paris a un rôle prépondérant à prendre dans la transformation numérique.
D’une part, avec le bagage qu’il obtient au cours de sa formation, il peut intervenir à tous les niveaux des projets liés au numérique allant de la conception à la réalisation, en passant par la mise en place technique et la coordination des projets.
D’autre part, au regard des parcours de spécialisation et enseignements proposés autour des énergies, il doit prendre un rôle dans la conciliation de la transition numérique et écologique. En effet, la course aux données fait exploser l’utilisation de technologies qui ont une empreinte environnementale négative. Il est sûrement possible de rendre le numérique plus responsable en misant sur le développement de technologies plus respectueuses de nos ressources. Aussi, l’ingénieur ENSTA Paris peut contribuer à trouver des solutions pour utiliser le numérique comme levier au service de la transition écologique.
D’une part, avec le bagage qu’il obtient au cours de sa formation, il peut intervenir à tous les niveaux des projets liés au numérique allant de la conception à la réalisation, en passant par la mise en place technique et la coordination des projets.
D’autre part, au regard des parcours de spécialisation et enseignements proposés autour des énergies, il doit prendre un rôle dans la conciliation de la transition numérique et écologique. En effet, la course aux données fait exploser l’utilisation de technologies qui ont une empreinte environnementale négative. Il est sûrement possible de rendre le numérique plus responsable en misant sur le développement de technologies plus respectueuses de nos ressources. Aussi, l’ingénieur ENSTA Paris peut contribuer à trouver des solutions pour utiliser le numérique comme levier au service de la transition écologique.
Gardes-tu un souvenir anecdotique de l’école ?
SB. : Ce qui me vient à l’esprit au regard de mon poste actuel est que je n’étais pas du tout douée dans les cours de programmation et simulation ! Comme quoi, il ne faut jamais s’avouer battu.
As-tu des conseils à donner aux élèves actuels ?
SB. : Je dirais de surtout garder son ouverture d’esprit et une certaine audace d’essayer de nouvelles choses. Ce sont des soft skills que nous avons tendance à prendre avec l’expérience mais qui sont et seront de plus en plus demandées au sein des entreprises, en plus des autres compétences acquises à ENSTA Paris.
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